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Ștefan S. Gorovei | p. 429–448

Légendes, mythes et fables dans l’histoire du Monastère de Poutna

Abstract

L’histoire écrite et orale du Monastère de Poutna a accumulé, au fil du temps, plusieurs explications concernant certaines réalités historiques. Analysées à la lumière des sources indubitables, selon les règles de la critique historique, ces explications dévoilent facilement leur nature et leur origine.

On dit, par exemple, que la petite église en bois, qui se trouve dans la proximité de l’église du village, a aurait été construite par le prince Dragoș, le mythique fondateur de la principauté moldave, vers le milieu du XIVe siècle initialement à Volovăț; c’est Étienne le Grand qui aurait décidé son transfert à Poutna pour rehausser le statut de sa propre fondation monastique. C’est une tradition incontrôlable, mais de très vieille date, attestée au moins vers le commencement du XVIIIe siècle. L’analyse des poutres (dont certaines datent du XIVe siècle) a confirmé l’ancienneté de cette construction et l’existence d’un vieux transfert, dont le motif réel reste obscur.

Une légende veut que la fondation du Monastère de Poutna soit la conséquence d’une rencontre providentielle entre Étienne le Grand et un célèbre ermite moldave du XVe siècle, Saint Daniel. Mais c’est une fausse tradition, née sous la plume d’un érudit du XVIIIe siècle, l’archimandrite Vartolomei Mazereanu, le premier historien de ce monastère (1761). En réalité, il s’agit de l’épisode bien connu de la rencontre de Saint Daniel et du prince Étienne à la suite de laquelle ce dernier fonda le Monastère de Voroneț. D’ailleurs, l’église de Voroneț abrite encore, de nos jours, le tombeau de ce saint, vénéré depuis le XVIe siècle comme un véritable protecteur de ce monastère. L’archimandrite Mazereanu a détaché cet épisode de l’histoire de Voroneț, pour l’attacher tout simplement à celle de Poutna. Sa narration fut très vite diffusée de vive voix, tant dans la communauté monastique, que dans son école de Poutna. De la sorte, son „explication” prit la forme d’une tradition folklorique, soit disant populaire, qui n’a aucune relation avec les réalités historiques.

D’autres explications fabuleuses ont été véhiculées à propos de certaines pièces qui se trouvent dans le trésor du monastère: la relique de la Vraie Croix et le triptyque d’Étienne le Grand. Leur histoire a fait couler beaucoup d’encre au XXe siècle. La première fut considérée d’origine byzantine, soit envoyée par les moines de la Sainte Montagne, soit apportée par la princesse Marie Assanina Palaiologhina (Marie de Mangop) comme présent pour le prince Étienne à l’occasion de leur mariage (1472). Le second passait pour l’icône personnelle du même prince, reçue (1462) de la part de sa première épouse, Eudocie de Kiev. Les controverses ont finalement déniché la vérité: le triptyque est une belle oeuvre d’art russe du début du XVIIe siècle, entrée dans le trésor de Poutna après 1785, tandis que la relique de la Vraie Croix est l’oeuvre d’un faussaire du XVIIIe siècle venu dans les Principautés Roumaines en quête d’argent pour son monastère de l’Athos.

L’icône de la Vierge, exposée aujourd’hui encore dans l’église de Poutna, est connue depuis le milieu du XVIIIe siècle pour être miraculeuse. Elle aussi a été considérée d’origine byzantine, apportée en Moldavie par la même princesse Marie de Mangop; on lui attribuait, d’ailleurs, le nom évocateur de „Palaiologhina”. L’analyse de la peinture a conduit vers une origine plus récente: l’icône a été peinte vers le milieu du XVIIe siècle, en Galicie (Ukraine d’aujourd’hui). L’auteur suppose qu’elle eût appartenu au monastère de Hotin, fondé vers 1663 par le burgrave de cette citadelle. Ce monastère de Hotin possédait, en effet, une icône miraculeuse, qui avait manifesté ses dons (icona lacrymosa) en 1672; or, tous les objets, les livres et les documents du monastère de Hotin ont été déposés à Poutna dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

L’effort de „faire dans le faux la part du vrai” (selon l’expression de Marguerite Yourcenar) peut produire des émotions et tristesses, mais ne peut pas avoir des conséquences nuisibles. Il reste toujours au service de la vérité et conduit toujours à des nouvelles découvertes.


Keywords

Dragoș, icône miraculeuse (icona lacrymosa), Poutna, relique de la Vraie Croix, Saint Daniel l’Ermite, triptyque



Article from the journal
The Annals of Putna, IX, 2013, 1


 
The cover of the journal The Annals of Putna, IX, 2013, 1